Dans plusieurs décisions en date du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de mettre en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés (Cass. soc., 13-9-23, n°22-17340 à n°22-17342 ; n°22-17638 ; n°22-10529 et n°22-11106).
Pour rappel, à la suite de l’action de plusieurs confédérations syndicales dont FO, la cour administrative d’appel de Versailles avait condamné l’État pour transposition incomplète de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, directive dite temps de travail
, en droit interne relatif aux congés payés (CAA Versailles, 17-7-23, n°22VE00442). La CAA de Versailles avait considéré que le droit au repos, notamment via les congés payés, devait être pleinement effectif y compris en période de maladie.
Dans la suite logique de cette décision administrative et dans le souci de garantir une meilleure effectivité des droits des salariés à leurs congés payés, la Cour de cassation considère désormais que :
– les salariés malades ou accidentés acquièrent des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle. Autrement dit, la Cour de cassation reconnaît que les absences pour maladie ne sont pas une période de repos et qu’elles doivent ouvrir droit également à des congés payés ; en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le calcul des droits à congés payés n’est plus limité à la première année de l’arrêt de travail ; la prescription du droit à congés payés ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile (et non plus à la date d’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle ces congés auraient dû être pris comme cela était le cas auparavant).
La Cour de cassation, eu égard à l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos, écarte les dispositions du droit français, notamment les articles L 3141-3 et L 3141-5 du code du travail, qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. Selon le droit de l’Union européenne, un salarié en arrêt de travail, pour maladie ou accident, professionnel ou non, a le droit de réclamer des droits à congés payés au titre de cette période.
Le droit communautaire garantit des congés payés de 4 semaines. En France, la durée des congés payés est de 5 semaines. Pour le moment, la Cour de cassation n’a pas encore clairement affirmé que l’acquisition des congés payés en période de maladie devait se faire sur une base de 5 semaines lorsque la durée de l’arrêt de travail dure une année entière.
Toutefois, il y a de fortes chances, si elle était saisie sur ce point précis, qu’elle affirme que le droit à congés payés, pour une période de maladie s’étalant sur une année entière, s’exerce sur une base de 5 semaines au regard de la finalité que le droit communautaire accorde à la période de congés payés (une période de détente et de loisirs).
Le droit aux congés payés, qui est un principe essentiel du droit social de l’Union, doit être effectif et ne saurait pouvoir, à notre sens, être limité à une période de protection de 4 semaines (période prévue par le droit communautaire) lorsque la législation nationale accorde un droit supérieur dès lors que le principe d’un droit à congé payés est accordé en période de maladie (en ce sens, voir : Cass. soc., 21-9-17, n°16-18898 : eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ; que, sauf dispositions contraires, la même règle de preuve s’applique aux congés d’origine légale ou conventionnelle, s’ajoutant aux quatre semaines garanties par le droit de l’Union
). Autrement dit, le cadre ou le principe est fixé par la Cour de cassation, sous l’impulsion du droit communautaire, celui-ci ayant lieu de s’appliquer sur la période de congés payés prévue par le droit national.
Dès maintenant, un salarié peut donc demander à son employeur le bénéfice de jours de congés payés au titre d’une période de maladie. En cas de refus, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes (CPH) en se basant sur les jurisprudences de la Cour de cassation en date du 13 septembre 2023 qui sont applicables à des situations passées et futures.
En théorie, le CPH est tenu de suivre l’argumentaire de la Cour de cassation.
Même en l’absence de modification législative (notamment d’une modification de l’article L 3141-3 du code du travail), les juges du fond demeurent tenus d’appliquer la décision de la Cour de cassation sous peine de censure par cette juridiction suprême.
Le délai de prescription en matière de congés payés est de 3 ans. Attention, le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé. Ainsi, un salarié pourra exiger des congés payés pour une période de maladie qui remonte à plus de 3 ans. Dans un tel cas de figure, l’employeur ne pourra se dégager de son obligation que s’il démontre qu’il avait pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer son droit à congé payé.
Un contentieux très important risque de se développer sur deux points :
– qu’en sera-t-il de l’application dans le temps de cette décision ? Les décisions de justice ayant un effet rétroactif, pourra-t-on, arguer que le délai de prescription de 3 ans n’a jamais commencé à courir car il y a fort à parier que la plupart des employeurs n’auront pas mis leur salarié en mesure de prendre leurs CP en cas de maladie ? ;
– que signifie mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer son droit à congé payé
? Si la Cour de cassation semble donner une portée générale à sa décision eu égard à la publicité de l’arrêt, le cas d’espèce était très particulier : il s’agissait d’un salarié qui avait été privé de prendre ses CP dans la mesure où son employeur ne l’avait pas placé sous le statut du salariat en établissant un contrat de travail.
Si la Cour de cassation se montrait trop permissive dans l’appréciation de cette notion, il est fort probable que le législateur interviendra pour limiter les effets dans le temps d’une telle évolution jurisprudentielle.
Le même jour, à l’occasion d’une affaire FO et moins médiatique, la Cour de cassation a décidé qu’un salarié pouvait, comme pour la prise d’un congé maternité, reporter ses congés payés à l’issue de son congé parental : il y a lieu de juger désormais qu’il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail
(Cass. soc., 13-9-23, n°22-14043).