Par un arrêt remarqué et promu à une forte publicité, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient de reconnaître le harcèlement moral institutionnel et son caractère pénal.
L’article 222-33-2 du code pénal dispose que : Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende
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Dans cette affaire, les dirigeants de France Telecom avaient établi une politique d’entreprise visant à réduire leurs effectifs affectant 20 000 agents et un plan de mobilité interne touchant 10 000 agents.
Le but était de déstabiliser les salariés et agents, de créer un climat professionnel anxiogène, en recourant notamment à des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, une surcharge de travail, une pression des résultats ou à l’inverse une absence de travail, un contrôle excessif et intrusif, une attribution de missions dévalorisantes, une absence d’accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, des formations insuffisantes voire inexistantes, un isolement des personnels, des manœuvres d’intimidation, voire des menaces et des diminutions de rémunération, des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des personnels, susceptible de porter atteinte à leur droit et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
Ainsi, il s’agissait, via des méthodes de management violentes, de pousser les salariés à des départs volontaires pour éluder l’application des dispositions protectrices du droit du licenciement.
Un syndicat dépose une plainte pour harcèlement moral de 39 salariés à l’encontre des dirigeants.
La cour d’appel les a déclarés coupables de harcèlement moral institutionnel sur le fondement de l’article 222-33-2 du code pénal.
Les dirigeants forment un pourvoi en cassation en arguant du fait qu’ils ne peuvent être condamnés pour harcèlement moral pour avoir mis en œuvre une politique générale d’entreprise de nature à entrainer une dégradation des conditions de travail, et non sur un harcèlement délibéré sur autrui.
La Cour de cassation rejette le pourvoi (Cass. crim. 21-1-25, n°22-87145). Elle considère que : constituent des agissements entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel
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Ainsi, nul besoin que le harcèlement soit envisagé à l’encontre d’une seule personne déterminée, la loi permet de réprimer l’ensemble des décisions prises dans le cadre d’une politique générale de l’entreprise susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés dans leur ensemble.
Rappelons que la chambre sociale de la Cour de cassation a depuis longtemps reconnu ce type de harcèlement moral (Cass. soc., 10-11-09, n°07-45321 ; Cass. soc., 21-5-14, n°13-16341).
Mais, en l’espèce, il s’agit du premier arrêt rendu en matière pénale qui reconnait que le harcèlement moral managériale ou institutionnel entre dans la définition de l’article 222-33-2 du code pénal…
Une telle reconnaissance pénale du harcèlement moral institutionnel et la possibilité de condamnation des dirigeants (et non, seulement de la personne morale) va conduire les manageurs (et les écoles de management) à faire évoluer leurs discours.